Au moment où le scandale du lait contaminé en Chine défraie la chronique
et crée une psychose mondiale nous avons reçu cet écrit de deux
spécialistes de l’Université de Ouagadougou,
Nicolas Barro, biochimiste et chercheur en alimentation et santé des populations et
Marcel Daba Bengaly, chercheur en nutrition et santé. Leur article très riche
, lève l’équivoque et fait la différence entre la mélamine (pigment de la peau) et la mélamine, substance mise en cause.
Le scandale du lait contaminé en Chine continue de prendre une ampleur internationale
qui soulève une série de questions sur ce «
le lait de la mort » qui a créé une psychose mondiale. Deux spécialistes du
CRSBAN du Pr. Alfred Traoré de
l’Université de Ouagadougou nous apportent des éclaircissements sur ce
scandale sans précédent et préjudiciable à la santé publique. Il s’agit
du Daba Be
Dr Marcel ngaly, chercheur en nutrition et santé et du
Pr. Nicolas Barro,
Biochimiste et chercheur en alimentation et santé des populations.
Depuis un certain temps, les laits et produits laitiers d’origine
chinoise sont réputés être dangereux pour la santé humaine
, notamment chez les bébés qui ont pour principal aliment, le lait
.
En effet, des dizaines de milliers de bébés chinois sont malades pour avoir bu du lait frelaté
, et quelques-uns en sont morts
.
Cette situation est due à l’ajout frauduleux d’un adjuvent qui est un
composé chimique appelé la mélamine. Dans la psychose générale créée par
ce scandale, beaucoup de confusions sont faites ; on entend souvent
parler de lait contaminé à la mélanine
(pigment de la peau) et certaines rumeurs font cas de menace pour les bébés noirs. Il n’en
est rien. Pour lever toute équivoque, il nous semble opportun de faire
d’abord la différence entre la mélanine pigment biologique et la
mélamine, substance impliquée dans l’intoxication des bébés chinois
.
La mélanine : N comme molécule naturelleLa
mélanine ou plutôt les mélanines sont des molécules normales de
l’organisme humain, dérivées des acides aminés (tyrosine et cystéine)
que nous obtenons par la digestion des protéines. Ce sont des pigments
responsables de la coloration de la peau
,
des cheveux et poils, de l’épithélium de l’iris, etc. Il existe deux
principaux types de mélanine comportant chacun deux sous-groupes, et un
type mineur moins connu :
l’eumélanine (noire ou brune),
la phaéomélanine (rouge ou jaune) et la
neuromélanine.
Ces molécules assurent une protection de l’organisme contre l’agression
par certaines radiations nocives du soleil (rayon UV) et de
l’environnement. La mélanine est donc une molécule naturelle très utile à
l’Homme. C’est du reste son absence qui explique la fragilité des
albinos face au soleil. A ne pas confondre avec la mélamine
.
La mélamine : M comme mauvaise en alimentationLa mélamine ou le
Formaldéhyde de mélamine (FM) fait partie de la grande famille des résines aminées dérivées de
l’urée, de la thio-urée et des cyanamides. La mélamine, de nom chimique
1,3,5-Triazine-2,4,6-triamine, est parfois dénommée cyanuramide ou cyanurotriamine. La formule chimique brute de cette molécule de couleur blanche est
C3H6N6 : elle renferme donc beaucoup d’azote (N) qui est un atome utilisé dans le dosage des protéines
. Malgré sa richesse en azote, cette molécule n’est ni un acide aminé, ni un nutriment
. Elle est plutôt utilisée dans la fabrication de certaines colles, du formica, des ustensiles de cuisine en plastique, etc.
En alimentation, la mélamine utilisée comme source d’azote non protéique ou
Non-Protein Nitrogen (NPN) a été indexée dans la mort de certains animaux
(chats, chiens, veaux…) aux Etats-Unis, au Canada et au Mexique. En
effet, la mélamine et l’acide cyanurique (qui est un sous-produit
métabolique de la mélamine) peuvent réagir dans certaines conditions
pour former des cristaux de cyanurate de mélamine qui bloquent les
fonctions rénales. Ainsi, lorsque les fonctions assignées aux reins ne
peuvent plus être effectuées, la mort de l’individu peut survenir par
endo-intoxication. C’est au regard de cette toxicité potentielle que la
mélamine fut déclarée comme adjuvent alimentaire illégal par plusieurs
gouvernements dont celui de la Chine en avril 2007.
Toutefois, il
est important de noter que la mélamine n’est pas considérer comme
hautement toxique si elle est ingérée à faible dose
.
Il n’y a donc pas lieu de la considérée comme un poisson virulent et
fuir tous les produits laitiers par peur d’être "foudroyé" par cette
molécule. A ce propos, il faut souligner que les enfants chinois
intoxiqués auraient consommé le lait frelaté pendant 3 mois avant
l’apparition des symptômes
.
Qu’est-ce qui peut donc bien justifier ces morts à la mélamine malgré son interdiction comme adjuvent alimentaire ? Une explication plausible : la mélamine cache le lait coupé d’eauSelon
les experts de l’OMS et de grandes firmes agroalimentaires, les
distributeurs auraient coupé le lait avec de l’eau (à hauteur de 30 %)
et ajouté de la mélamine pour que le mélange passe positivement les
tests de richesse en protéines. Une autre hypothèse (qui n’exclut pas la
première) serait que les laits, du fait d’une alimentation de mauvaise
qualité des vaches
,
avaient des taux en protéines très bas pour être acceptés dans
l’alimentation infantile. Il faut noter que les laits destinés à la
consommation humaine doivent avoir une teneur minimale en protéines qui
est généralement déterminée par la méthode de Kjeldahl.
La détection est possible dans nos laboratoiresLes
protéines étant des chaînes d’acides aminés contenant des atomes
d’azote, la méthode de Kjeldahl consiste à mesurer la quantité d’azote
dans un échantillon pour ensuite déduire la concentration en protéines.
La molécule de mélamine (
C3H6N6)
contenant 6 atomes d’azote, on comprend bien que lors des contrôles, on
mesure la quantité de composés azotés (protéines + mélamine) du “lait
mélaminé”. On obtient donc une teneur en protéines erronée et
surévaluée. En bref, l’adjonction de ce composé chimique a pour effet de
donner l’illusion, lors des contrôles, que le lait contient plus de
protéines qu’il n’en contient en réalité. Pour détecter la mélamine, on
utilise des techniques plus élaborées (mais aussi plus coûteuses), la
chromatographie en phase gazeuse ou la chromatographie liquide à haute
pression. La dernière née des méthodes de détection de la mélamine est
le Kit Abraxis utilisant la technique Elisa (Enzyme Linked Immunosorbent
Assay) qui repose sur la spécificité de reconnaissance d’antigènes par
des anticorps. Nous pouvons rassurer la population que ces techniques
(équipements et compétences) sont disponibles dans plusieurs
laboratoires au Burkina, notamment au
CRSBAN. Que faire face à ce scandale mondiale ? Ne pas céder à la paniqueDe
toute évidence, la pire des choses à faire serait de rentrer dans cette
psychose qui a traversé depuis un certain temps, les frontières de la
Chine pour s’internationaliser. Il serait par exemple très hasardeux de
changer dans la panique, l’alimentation des nourrissons. A ce titre,
L’OMS et la FAO ont signalé que le remplacement des préparations en
poudre pour nourrissons par d’autres produits tels que le lait condensé,
le lait additionné de miel ou le lait frais n’était pas valable car ces
produits compromettent la santé et l’état nutritionnel des nourrissons,
qui sont particulièrement vulnérables.
Le gouvernement burkinabè
ayant interdit l’importation des laits et produits laitiers chinois, il
est important que les consommateurs burkinabè retrouvent confiance. Ce
scandale sera certainement une occasion de renforcer les systèmes de
contrôle des aliments et de surveillance des maladies d’origine
alimentaire comme le recommandent l’
OMS et la
FAO.
C’est
enfin, l’occasion de redire que l’allaitement exclusif au sein est la
meilleure façon d’alimenter les nourrissons pendant les six premiers
mois
.
On oublie souvent de dire que chaque mammifère produit du lait adapté
aux conditions de vie et au bon développement de son petit en fonction
des paramètres environnementaux (climat, milieu de vie, saison etc.)
;
le lait de vache ne saurait donc être meilleur au lait maternel